Masanobu Fukuoka et l’agriculture sauvage

Masanobu Fukuoka et l’agriculture sauvage

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Biographie de Masanobu Fukuoka.

Masanobu Fukuoka est né en 1913 au Japon. Il vit encore sur la ferme de ses parents, dont il a pris la suite. La ferme domine la baie de Matsuyama, dans l’île de Shikoku, la plus petite des quatre îles principales de l’archipel japonais [95]. Il reçoit une formation de microbiologiste [96]. En tant qu’ingénieur, il travaille en laboratoire, comme spécialiste de phytopathologie, jusqu’à la seconde guerre mondiale. Il est d’abord en poste à la Division de l’Inspection des Plantes pour le Bureau des Douanes de Yokohama. A partir de l’âge de vingt-cinq ans, Masanobu Fukuoka se met à se poser de plus en plus de questions sur la valeur réelle de ses connaissances et sur la pertinence de l’agriculture chimique. Il en vient à formuler des questions qui remettent en cause l’idée que l’agriculture chimique soit un véritable progrès par rapport à l’agriculture traditionnelle. Il traverse ce que l’on appelle, aujourd’hui, « une crise existentielle ». Il vit plusieurs mois assez désemparé, livré à des questionnements et à des méditations philosophiques, inspirés de ses racines culturelles (bouddhisme zen, taoïsme, shintoïsme). Ses amis ne le comprennent plus.
L’idée de base de sa méthode « lui vient un jour qu’il passe par hasard dans un ancien champ ni utilisé ni labouré depuis de nombreuses années. Il y voit de magnifiques pieds de riz poussant à travers un fouillis d’herbes » [97]. En 1938, ne voulant pas s’en tenir à des idées, et ayant l’opportunité d’un lieu pour pouvoir les tester, il démissionne de son poste et s’en va vivre dans une hutte, située dans une plantation de mandariniers de son père. Il décide de consacrer sa vie à l’agriculture, en testant ses idées sur le « non-agir ». Il applique cela aux mandariniers de son père, lesquels étaient taillés jusque-là : c’est un échec [98]. La guerre éclate, il se range aux vœux de son père, accepte un poste à la Station d’Essai de la Préfecture de Kochi, où il devient Directeur de la Division de l’Agriculture Scientifique. Mais il ne cesse pas, pour autant, de travailler à ses recherches personnelles : « je m’employais à augmenter la production alimentaire en temps de guerre, mais surtout, je réfléchissais sur la relation entre agriculture scientifique et naturelle. La question qui m’occupait était de déterminer si oui ou non l’agriculture naturelle pouvait tenir tête à la science moderne » [99]. A la fin de la seconde guerre mondiale, il retourne définitivement poursuivre ses recherches sur la ferme familiale.

Fig. n° 06 – Masanobu Fukuoka (1913-) [100].

Finalement, il met au point une conception et une pratique globale et originale de l’agriculture, alternative, à la fois à l’agrochimie moderne et à l’agriculture traditionnelle de son pays. Sa méthode d’agriculture s’appelle, selon les traductions, « agriculture du non-agir », « agriculture naturelle », « agriculture sauvage ».
Il parvient à confirmer ses intuitions sur la valeur d’une intervention artificielle minimale en agriculture. Quelques années après la seconde guerre mondiale, satisfait des résultats de sa méthode, il cherche à la faire connaître. De nombreux visiteurs et stagiaires viennent sur sa ferme, et, parmi eux, de nombreux chercheurs issus des différents « départements » de la recherche agronomique « moderne ». Ces chercheurs « officiels » constatent les résultats étonnants de Masanobu Fukuoka mais ne cherchent pas, en général, à aller plus loin, pour, par exemple, réorienter leurs recherches et méthodes de travail. Néanmoins, Masanobu Fukuoka continue à communiquer, en se rendant dans des colloques, à la télévision, en accordant des interviews à des journalistes, en écrivant des articles. Bien qu’il ait une large audience au Japon, – il est à l’origine d’un large retour des vergers sur couvert végétal dans son pays -, il n’a pas connu la reconnaissance publique mais, bien plutôt, des contraintes et des entraves de l’Etat japonais (confiscation, pendant une dizaine d’années, d’une variété de riz qu’il avait sélectionné).
C’est en 1978, grâce à son livre intitulé The one straw revolution [101], que Masanobu Fukuoka commence à être mondialement connu. Ainsi, à partir de 1979, il va voyager un peu partout. Il va tout d’abord aux USA, où il rencontre notamment le responsable du Département des Déserts des Nations Unies. Cette rencontre va être décisive pour la suite de son parcours. En effet, ce fonctionnaire de l’ONU lui demande si sa méthode peut changer le désert d’Irak. Il invite Masanobu Fukuoka à développer une méthode pour faire reverdir les déserts. D’abord impressionné, – « je n’étais qu’un pauvre fermier sans pouvoir ni connaissances » -, il en vient à accepter le défi : « à partir de ce moment, j’ai commencé à penser que ma tâche est de travailler sur le désert » [102]. Il va ensuite en Europe, et s’attache à enseigner l’application de ses méthodes en Thaïlande, aux Philippines, en Inde, en Afrique (1985). Il cherche particulièrement à faire la démonstration de ses méthodes dans les zones désertiques. Dans ce cadre, son objectif est de faire reverdir les déserts. La première expérience à grande échelle de sa méthode de lutte contre les déserts et la désertification a démarré en Grèce, en mars 1998.
Masanobu Fukuoka a reçu en 1988 le prix « Magsaysay », l’équivalent du prix Nobel de la paix en Extrême-Orient, « pour sa contribution mondiale au bien-être de l’humanité » [103].
Aujourd’hui, il continue à diffuser son travail, basé sur des idées qu’il a mis au point et appliqué il y a déjà un demi-siècle. Son influence sur l’agronomie ne cesse de s’étendre, quoiqu’une reconnaissance explicite du caractère pionnier de son œuvre, notamment pour le développement des « techniques culturales simplifiées » (TCS), ne soit pas toujours au rendez-vous.

Les principes de l’agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka.

A partir du moment où il a maîtrisé son système d’agriculture simplifiée, Masanobu Fukuoka n’a cessé de « chercher à démontrer la validité de cinq principes majeurs : pas de labourage, pas d’engrais, pas de pesticides, pas de semailles et pas de taille. Pendant les nombreuses années écoulées depuis, [il] n’a pas douté une seule fois des possibilités d’une agriculture naturelle qui renonce à toute intervention et à tout savoir humains » [104]. Devant une telle ambition, on essaiera ici, seulement, d’expliciter un peu ces cinq principes, en relevant quelques cas où l’auteur lui-même y déroge. Quant à la question philosophique de la possibilité du renoncement à toute intervention et à tout savoir humain dans le développement agricole, on y reviendra plus spécifiquement aux §3431 et 424, avec quelques réflexions relatives au contexte culturel et aux enjeux contradictoires de cette hypothèse fukuokienne.

L’agriculture sans labour. Masanobu Fukuoka sème directement ses céréales – le riz, notamment – sur un couvert permanent de légumineuses, souvent du trèfle blanc [105].. Pour que ses semences ne soient pas étouffées par la légumineuse ou les adventices, il inonde son champ, pour freiner le couvert végétal. Il vide ensuite sa rizière pour semer [106]. Egalement, il remet sur la parcelle toutes les pailles de la récolte précédente. Il sème, alors, dans cette litière de matières organiques. Dans le cas où le sol serait trop nu, où les graines seraient exposées aux oiseaux, ou pour un hivernage des graines, il utilise et préconise d’enrober les semences dans des boulettes d’argile [107] ou de calcium. Dans certains cas, il autorise un labourage léger « à cinq centimètres environ » [108].

Cultiver sans engrais. Masanobu Fukuoka considère qu’il est quasiment inutile de préparer du compost ou d’apporter des amendements. Il épand, parfois, quelques fientes de poules [109]. En revanche, il remet aux champs toutes les pailles. En s’appuyant sur l’observation de la nature sauvage, il considère qu’un champ aussi peu travaillé que possible, – ce qu’il recherche assidûment dans sa démarche -, auquel on remet la majeure partie de la matière organique qu’il a produite la saison précédente, voit sa fertilité augmenter [110]. A la différence d’Howard qui a beaucoup travaillé pour améliorer les techniques de compostage, M. Fukuoka se contente d’un compostage de surface, sans enfouissement. Si Howard veut faire le maximum pour la fertilité et les rendements en ayant recours à un compostage sophistiqué, M. Fukuoka se satisfait d’une augmentation de la fertilité plus naturelle et plus économe en travail. Néanmoins, il ne se refuse pas à l’épandage limité [111] de fientes de canards ou de poules, pour fournir de « l’engrais animal qui aide à décomposer la paille » [112]. Enfin, on retiendra que, pour M. Fukuoka, la forêt et les éléments nutritifs de son humus, sont bien la base d’un sol fertile et de la réussite de l’agriculture. Pour lancer une ferme fukuokienne il faudrait ainsi s’assurer de la proximité d’une réserve d’humus : trouver un site près d’un « bois naturel » ou en faire pousser un [113].

S’abstenir des pesticides. Au premier abord, M. Fukuoka peut apparaître comme un agriculteur Bio « classique » avec ce principe. Or, aujourd’hui, certains pesticides « écologiques » ou certains produits de synthèse sont exceptionnellement autorisés dans la législation européenne de l’agriculture biologique. M. Fukuoka, comme Albert Howard, est plus puriste. Pour Howard, les maladies sont des professeurs qui indiquent à l’agriculteur qu’il fait une erreur dans ses pratiques : il doit corriger en conséquence. M. Fukuoka, toujours plus simple, considère que les maladies ou les invasions de prédateurs se régulent d’elles-mêmes, pour peu que la ferme soit dans un environnement naturel préservé : la croissance de la population de prédateurs des cultures engendre spontanément celle de leurs propres prédateurs. Tout finit par rentrer dans l’ordre, moyennant une perte faible à la récolte. En ce qui concerne la prolifération des adventices, M. Fukuoka, dans ses tâtonnements successifs, a relevé plusieurs façons de les contrôler, dont l’inondation périodique, le semis d’un couvert végétal, le paillage, et le semis très précoce, « pendant que la moisson précédente mûrit encore » [114].

Le semis direct. Inutile, pour Masanobu Fukuoka, de mettre les graines en terre. Il dit n’avoir jamais vu une graine suffisamment faible pour ne pas être capable de s’implanter d’elle-même. Si les conditions sont trop dures, au désert par exemple, il recommande ses boulettes protectrices. Celles-ci protègent les graines des prédateurs mais aussi du soleil, et constituent une sorte de premier terreau, en attendant des pluies suffisantes pour déclencher la germination. Mais dans les conditions des champs de sa ferme, la structure souple et riche en déchets végétaux de la surface du sol ressemble à l’humus des forêts : l’implantation des semences n’est pas difficile.

Ne pas tailler les arbres et plantes. La taille modifie l’organisation naturelle des tiges ou des branches des arbres. Spontanément, les branches des arbres se disposent idéalement pour capter le maximum d’énergie solaire. La taille amenuise la capacité de photosynthèse. Ou bien il faudrait la répéter régulièrement, pour éviter ce problème, ou bien la taille ponctuelle crée des zones du branchage artificiellement ombragées, situation susceptible de favoriser les maladies. Masanobu Fukuoka reproche également à la taille visant à avoir de gros fruits d’enclencher une production irrégulière d’année en année, alors qu’un arbre naturel donne des fruits, de calibres variables [115], presque chaque année. Néanmoins, il suggère, le cas échéant, « une taille correctrice minimale, ne visant qu’à rapprocher l’arbre de sa forme naturelle », tout comme, éventuellement, un palissage, dans le même esprit, des jeunes fruitiers.