Gunter Pauli

Gunter Pauli est un industriel belge né en 1956 à Anvers. Dans les années 1990, il reprend la société Ecover et la transforme en modèle d’économie verte. Quand il s’aperçoit que la base de son entreprise repose sur l’exploitation de l’huile de palme qui détruit les forêts ainsi que l’habitat des orang-outans, il la vend et se consacre à un modèle plus durable qu’il nomme l’économie bleue. Il crée alors la fondation ZERI (Recherche et Initiatives pour Zéro Pollution).

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Le Site de Gunter Pauli

Membre du Club de Rome, il milite pour la diffusion de solutions véritablement durables à dimension sociale, notamment à travers des livres, des conférences et l’éducation des jeunes.

Ses capacités oratoires en font un conférencier très demandé, et beaucoup repris dans les médias. Certains experts1 ont cependant fait remarquer le caractère approximatif ou le flou des projets mis en avant à l’appui de ses interventions, voire le greenwashing représenté par certains projets soutenus, comme celui du papier pierre. Il est souvent présenté dans les médias comme le « Steve Jobs du développement durable », lequel a longtemps dirigé Apple, entreprise considérée comme un exemple d’obsolescence programmée2.

Formation et carrière

Gunter Pauli est diplômé en économie de l’Université Loyola à Anvers (Belgique) en 1979, titulaire d’un MBA de l’Insead (Fontainebleau) en 19823.

Dans les années 1990, il se lance dans la fabrication de détergents bio avec la société Ecover. Il conçoit l’usine pour qu’elle soit elle-même biodégradable. Mais ses produits utilisent l’huile de palme responsable de la déforestation en Indonésie. Il vend son entreprise et cherche comment régénérer la forêt tropicale au lieu de la détruire4.

Il s’installe au Japon et créé en avril 1994 la fondation ZERI (Zero Emission Research and Initiatives – Recherche et initiatives pour zéro pollution) dont l’objectif est la « pollution zéro » en s’inspirant de la nature pour satisfaire les besoins fondamentaux : contrairement aux modèles économiques actuels qui poussent à investir plus sans économiser, en contradiction avec les systèmes naturels, il envisage d’investir moins tout en créant un capital social et écologique. Pour lui : « on donne des prix environnementaux aux hommes d’affaires qui annoncent qu’ils vont polluer un peu moins. Mais il ne faut pas polluer un peu moins : il faut arrêter de polluer »4.

Il a créé le premier congrès mondial de l’économie bleue (souvent appelée Blue Economy) à Madrid en 2013 et prône une économie s’inspirant des écosystèmes naturels pour résoudre les crises économique, sociale et écologique.

Economie bleue

Article détaillé : Économie bleue.

Gunter Pauli est à l’origine du concept de l’économie bleue5 qui est la matrice du projet d’autonomie énergétique de l’île canarienne d’El Hierro.

Il développe de nombreuses entreprises à partir de concepts innovants de recyclage6 . De nombreuses pages ou sites évoquent la biographie de Gunter Pauli en mentionnant de nombreux projets. Dans la plupart des cas cependant, il est très difficile de savoir si ces projets sont effectivement mis en œuvre, d’identifier les participants ou financeurs, voire des noms, marques des produits commercialisés et leur bilan environnemental effectif.

La Fondation Zeri

(Recherche et Initiatives pour Zéro Pollution).

Gunter Pauli a créé en 1994 la fondation ZERI (Recherche et initiatives pour zéro pollution (en)) qui travaille pour une économie sociale et écologique en s’inspirant de la nature7. La Fondation se présente comme « un réseau global d’esprits créatifs »[1] [archive].

La Fondation ZERI a notamment signé une convention en 2016 avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de Quimper afin de développer le concept d’économie bleue sur le territoire de la CCI [archive]. La CCI prévoyait ainsi de verser 500 000 € à la fondation pour l’identification et le développement de projets et la création d’emplois sur le territoire. En juillet 2018, la CCI annonce la fin de la convention avec la Fondation, mettant en doute l’efficience réelle du réseau de 3 000 experts, et le contenu du service apporté par la Fondation8.

 

Publications

En anglais

    • International Marketing: The Importance of Image in Japan. Sophia University Press, 1983, (ISBN 978-4-88168-094-0)
    • Aurelio Peccei: Portrait of the Founder of the Club of Rome. Pergamon Press, 1987, (ISBN 0-08-034861-0)
    • Services: the driving force of the economy. Waterlow Press, 1987, (ISBN 978-0-08-033091-4)
    • Towards a United Europe: 1992 and Beyond – Shaping Priorities for Successful Regional Integration. SRI International, 1990, OCLC Number 22733850
    • The Second Wave: Japan’s Global Assault on Financial Services (with Richard Wright). Waterlow Press, 1997, (ISBN 978-0-312-01558-9)

« L’économie bleue » promet de régénérer les écosystèmes, de créer une harmonie sociale et une vie d’abondance et s’inspirant de la nature, aux antipodes du modèle économique dominant. Rencontre avec l’auteur Gunter Pauli, qui publie une nouvelle édition de son livre phare L’économie bleue 3.0 (Éditions de l’Observatoire, 2019).

Dans la nature, un écosystème ne produit aucun déchet, ne gâche rien, réutilise tout. Des milliers d’acteurs coopèrent de façon harmonieuse, chacun trouvant de quoi subvenir à ses besoins. La notion de chômage y est inexistante et l’énergie utilisée avec une efficacité qui a de quoi faire pâlir les meilleures technologies humaines. Et le tout en n’utilisant évidemment que des ressources disponibles localement. Appliquer ces principes à l’économie humaine serait éminemment vertueux, créateur de valeur sociale et écologique. C’est ce que promet « l’économie bleue », théorisée par Gunter Pauli.

L’entrepreneur belge, auteur à succès et fondateur du réseau ZERI (Zero Emissions Research and Initiatives) a popularisé ce concept d’économie bleue dans un ouvrage éponyme publié en 2010, issu d’un rapport d’abord rédigé pour le Club de Rome. Une nouvelle édition revue et augmentée, L’économie bleue 3.0 (Éditions de l’Observatoire, 2019) vient de paraître, vantant les mérites de cette nouvelle économie, avec « 200 projets menés, 3 millions d’emplois créés et 5 milliards d’euros investis » revendiqués.

Quand chaque déchet devient une matière première, une source de revenus et de création d’emplois pour l’entreprise, quand on imagine un monde sans batterie plutôt que des batteries moins polluantes, que la nature nous apprend à régénérer au lieu de simplement préserver (au mieux), à se passer de chimie polluante et à utiliser harmonieusement les ressources locales, alors l’économie peut rêver de sauver le monde au lieu de le détruire. La promesse est belle mais reste très théorique. Malgré les exemples convaincants égrainés dans l’ouvrage, l’économie bleue paraît encore bien marginale et désespérément lointaine face à l’urgence des crises écologiques. Nous avons profité du passage à Paris de Gunter Pauli pour le rencontrer.

Gunter Pauli, créateur d'entreprises et de fondations, dont la fondation ZERI
Gunter Pauli, créateur d’entreprises et de fondations, dont la fondation ZERI / Playing Futures: Applied Nomadology – CC BY 2.0

Usbek & Rica : Dans Économie bleue 3.0, vous évoquez à la fois la crise écologique et la crise sociale comme conséquences inévitables de nos modes de production. Vous faites des dérives de notre système économique la source de tous nos maux ?

Gunter Pauli : C’est le modèle d’affaires qui est la cause du problème. Plus d’un million de personnes sont formées chaque année en MBA [Master of business administration, une formation internationale à la gestion d’entreprise destinée aux professionnels, ndlr] et passent tous par le même carcan. On leur inculque une méthode simple : faites un business plan, travaillez bien sur Excel et concentrez-vous sur la recherche du meilleur retour sur investissement pour « un » produit. C’est une folie. La stratégie est de se concentrer sur un seul créneau, de devenir premier dans sa région, puis dans son pays, puis en Europe, puis de chercher une fusion avec un Américain ou un Chinois pour devenir le numéro un mondial.

« La mondialisation est conçue sur cette obsession de toujours être le moins cher »

L’idée est de faire des économies d’échelle en se concentrant sur un seul créneau. Il faut être toujours moins cher, baisser les prix et baisser les coûts pour être compétitif, en bradant discrètement la qualité. Il est impossible qu’un tel système rende, à terme, service à la société. Impossible qu’il tienne compte des externalités négatives sociales et environnementales. Le politique peut juste tenter de limiter les dégâts, surtout sur le social. Et sur l’écologie, on ne fait pas vraiment d’efforts.

La mondialisation est conçue sur cette obsession de toujours être le moins cher. Dans ces conditions, tout l’argent finit par sortir de l’économie locale, les petites entreprises sont obligées de fermer et les communautés disparaissent, non pas à cause de l’attraction des grandes villes mais parce qu’il ne reste plus rien dans les villages. Je crois que la quête du prix le moins cher est le principal problème de la société.

À quand faites-vous remonter l’instauration de ce modèle ?

Le tournant a été pris d’après moi dans l’après-guerre. Durant la Seconde guerre mondiale, il fallait fournir mille chars par mois : on a décidé de faire de la supply chain. C’est une méthodologie de production de guerre, que nous appliquons depuis lors et encore aujourd’hui, alors que nous sommes en paix. Les business schools sont nées de l’application par les Allemands et les Américains de cette production de guerre, pour qu’elle soit généralisée tout le temps et à toutes les entreprises.

Ensuite est venue la révolution de la sous-traitance, menée par General Motors et Volkswagen. Toujours dans le but de baisser les coûts, ils ont serré la vis de leurs fournisseurs et repoussé leurs responsabilités. Eux-mêmes ont fait la même chose et ont provoqué un effet de cascade. Et les seuls qui ne gagnent plus rien aujourd’hui sont les agriculteurs, les pêcheurs et les mineurs, en bout de chaîne. Volkswagen s’est même mis à tricher avec les logiciels [l’affaire du “dieselgate” révèle en 2015 que Volkswagen puis d’autres constructeurs automobiles ont violé les réglementations anti-pollution à l’aide de logiciels truqués, ndlr]. Et encore, c’est une affaire qui a été révélée, mais on n’imagine même pas sur quelles autres choses ils ont pu tricher… C’est un système qui amène à une culture de la triche.

Paradoxalement, l’imaginaire de la Seconde guerre mondiale est aussi mobilisé au nom du climat. L’appel à un « effort de guerre » climatique face à l’urgence est régulièrement invoqué, dernièrement encore par Joseph Stiglitz, « prix Nobel d’économie », pour défendre le « green new deal » porté par une partie des Démocrates américains…

Je suis totalement contre cette idée. Si on fait appel à un tel imaginaire guerrier, on va tout perdre. Le langage qu’on emploie influe sur la société et apporte ses dégâts propres. On n’a pas besoin de l’imaginaire de la guerre, on a besoin de ce que les Japonais appellent le « Wa », l’harmonie dans la diversité. Surtout pas de la guerre.

« On a besoin d’une invitation à la danse avec la nature »

J’adore Alexandria Ocasio-Cortez [élue démocrate américaine qui porte l’idée du Green new deal, ndlr] mais je préfère quand elle fait passer ses messages par la danse. Lors d’une récente polémique, elle a convaincu tout le monde en répondant par quelques pas de danse dans une vidéo. Pour moi, ça a été un indice extraordinaire qu’elle réponde ainsi. Le monde est trop souvent dénué aujourd’hui de capacités de communication en dehors de la parole, de la voix. Une invitation à la danse est un acte très spécial dans la vie. Au début, on ne connaît pas les pas de l’autre, il faut s’accoutumer et trouver rapidement les pas de l’autre. On a besoin d’une invitation à la danse avec la nature, avec la société. Et surtout pas de mots durs ou belliqueux.

L’« économie verte », selon vous, a échoué pour les mêmes raisons que l’économie classique ?

Oui. Aujourd’hui, avec l’économie verte, si je veux sauver le monde, il faut que je paye plus que pour le détruire. Tout ce qui est bon marché correspond à tout ce qui est mal pour la nature, c’est incroyable !

Les panneaux solaires offrent un bon exemple de ce qui ne va pas avec la vision traditionnelle de l’économie verte. J’ai demandé aux fabricants pourquoi on ne les utilisait que sur un seul côté. Les ingénieurs m’ont répondu que si les panneaux photovoltaïques étaient utilisés des deux côtés ils risquaient de trop chauffer et ainsi de perdre en efficacité. J’ai dit qu’il suffisait de les refroidir mais on m’a rétorqué que ça coûtait trop cher, qu’intégrer des tubes capillaires de refroidissement en cuivre était difficile, cher, ne fonctionnait pas bien. Mais on n’avait tout simplement jamais essayé, et si l’eau de refroidissement monte à 50°C, ça fournit en plus l’eau chaude pour la maison. On m’a dit que ça n’entrait pas dans les standards, que ce n’était pas ce que le marché demandait…

Moi je n’y connaissais rien, mais en 7 ans on a réussi à mettre au point des panneaux qui fonctionnent sur les deux côtés. Avec peu d’espace, ça permettrait d’avoir à la fois du solaire photovoltaïque et du solaire thermique. Mais l’industrie solaire bloquait. Puis les Chinois ont fini par investir dedans. Encore une fois, quand tout un secteur ne se focalise que sur un seul paramètre, qui doit être le moins cher possible, il conclut que les plaques uniquement photovoltaïques sont le meilleur marché possible, mais c’est faux. On a perdu de vue la vision globale.

Dans votre ouvrage, vous écrivez que « les multinationales n’y arriveront pas », qu’elles ont d’énormes difficultés à passer à une vision globale de l’économie bleue. Vous prenez l’exemple de Nestlé, qui n’a pas su saisir « l’opportunité d’ajouter quelques milliards de dollars à son chiffre d’affaires » en transformant les résidus de café de ses usines – des déchets pour l’entreprise – en substrat pour produire des champignons, plutôt que de les brûler pour produire de l’énergie. C’était une solution socialement, écologiquement et financièrement préférable, dites-vous, mais l’entreprise vous a rétorqué que ce n’était pas son cœur de métier …

C’est la différence entre l’optimisation et la maximisation. Je peux optimiser ma production de café en produisant des champignons avec les déchets, qui vont nourrir des poules qui me donneront des œufs. Mais si vous ne vous focalisez plus que sur un seul paramètre, vous passez de l’optimisation à la maximisation. Or, maximiser un paramètre oblige mathématiquement à en épuiser un autre quelque part.

L’optimisation prend en compte l’ensemble de l’écosystème. L’économie bleue se veut ainsi inclusive. Mais si j’organise une bataille entre Starbucks et Lavazza, où est la richesse produite pour la société ? C’est une concurrence, organisée par des boîtes de conseil, qui fait tout pour maximiser votre position concurrentielle, en éliminant tout ce qui n’est pas dans le « cœur » de l’entreprise, ce qui n’est pas central. C’est comme si on décidait que deux bras, c’était trop pour danser le tango et qu’on en supprimait un. Résultat, plus personne ne peut correctement danser le tango aujourd’hui dans le monde des affaires…

« Je ne suis pas fasciné par les prouesses d’une espèce. Ce qui m’intéresse, c’est le système capable de donner des réponses résilientes. »

Cette nécessité de fonctionner avec une vision globale, en prenant en compte l’ensemble de l’écosystème, c’est ce qui différencie l’économie bleue du biomimétisme ?

J’adore le biomimétisme, mais quand on s’inspire des couleurs structurelles d’une plume d’oiseau et qu’on la reproduit avec des matériaux en PVC, je ne suis pas d’accord. Quand on s’inspire de la nature pour récupérer la rosée et qu’on le fait avec du téflon, je ne suis pas d’accord. On est fasciné par un paramètre, le captage de l’eau, et on le fait avec de la chimie néfaste. Ce que je dis à Gauthier Chapelle et aux autres tenants du biomimétisme, c’est : mettez-vous dans la peau de l’ensemble d’un écosystème.

Je ne suis pas fasciné par les prouesses d’une espèce. Un cafard capable de maximiser la récupération de l’eau du matin dans le désert de Namibie ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est le système qui est capable de bien s’intégrer et de donner des réponses résilientes, qui permet le partage, la fin de la pauvreté. La nature élimine la notion de pauvreté dans son évolution.

En quoi s’inspirer de la nature, dans l’économie bleue, apporte également des bienfaits sociaux ? Vous écrivez notamment qu’il n’y a « pas de chômage dans la nature »…

La notion même de chômage relève encore une fois du choix d’un paramètre binaire. Ce qui aboutit à des résultats contreproductifs. Aux États-Unis, le chômage est tombé à près de 3 %. Les économistes vont vous dire que c’est le chiffre optimal pour conserver une flexibilité sur le marché du travail. Tout le monde a un travail sauf que dans certaines villes, deux emplois à plein temps ne suffisent plus pour payer un loyer.

Dans la nature, chacun contribue à l’écosystème selon ses capacités. Quand 25 % des travailleurs sont au salaire minimum et que les gens sont réduits à un travail de machine, je ne suis pas sûr qu’ils contribuent au meilleur de leurs capacités. On peut s’ organiser de façon à trouver à chacun un rôle selon ses capacités et ses ambitions.

« Ce sont toujours une foule de petites décisions qui conduisent à un progrès vers le bien commun »

Ça implique de changer radicalement l’organisation de la société… Comment est-ce qu’on procède ?

Une vision cartésienne de la société l’a organisée en séparant les catégories de population de façon très dirigiste et pyramidale, entre ceux qui pensent, ceux qui organisent, ceux qui exécutent… Cela met totalement de côté les capacités humaines à collaborer plus largement.

À l’inverse, la nature est organisée dans une forme d’autogestion grâce à ses extraordinaires facultés de communication. On vient de se rendre compte que les cachalots parlent 40 langues, que les plantes parlent entre elles, par les couleurs, les phéromones. Que les mycorhizes [une forme de symbiose entre des champignons et les racines des plantes, nldr] conduisent tous les rhizomes des plantes, que les oiseaux sont des messagers intercontinentaux. Tous ces acteurs des écosystèmes parlent et communiquent, en permanence.

Nous souffrons, nous, d’une réduction de nos modes de communication, en « 2D ». C’est-à-dire qu’ils ne passent plus que par la vue et la voix, et principalement par les écrans. Nous ne sommes plus à l’écoute de nos autres sens et de la communication non verbale. L’homogénéisation sociale accentuée par les réseaux sociaux aggrave cette crise. Il faudrait apprendre à reconnaître les différences comportementales à l’école, à vivre avec la diversité. Les philosophes Humberto Maturana et Francisco Varela ont élaboré le concept d’« autopoïèse ». Il s’applique dans la nature et dit, entre autres, que ce sont toujours une foule de petites décisions qui conduisent à un progrès vers le bien commun. Une société qui se développerait en autopoïèse serait une bien meilleure forme de démocratie que celle que l’on a aujourd’hui. On a perdu de vue le bien commun.

Justement, vous prônez également la préservation de ces communs et leur gratuité.

Oui, les services rendus par la nature doivent être gratuits. L’eau, par exemple, ne devrait pas avoir de prix marchand. Et si on n’est pas capable d’offrir gratuitement un commun naturel parce qu’on a tellement dérangé l’écosystème qu’on est obligé de le retravailler, il faudrait au moins ne pas faire de profits dessus. Comment peut-on oser mettre une bouteille d’eau sur le marché qui soit, comme en Afrique, plus chère qu’une bouteille de Coca-Cola ? C’est un effondrement total du système de résilience d’une communauté.

économie bleue, gunter pauli

C’est à chaque communauté de décider des limites de ce qui entre ou non dans ses communs, mais dans tous les projets d’économie bleue sur lesquels j’ai travaillé, des communs gratuits ont toujours été inclus. À Las Gaviotas [un écovillage en Colombie cité comme exemple d’économie bleue, où un projet de recherche a permis de « ressusciter » une forêt tropicale, ndlr], l’eau est gratuite pour tous. Mais on peut aller beaucoup plus loin. La bicyclette pourrait par exemple être considérée comme un bien commun, gratuit pour tous les enfants, recyclable et échangeable à souhait. C’est un droit humain à explorer ses capacités et à se transporter. Imaginer l’impact si tout le monde avait une bicyclette dans les rues de Paris…

« Après 25 ans de théâtre politique, je ne crois plus à ces concertations globales »

Vous donnez dans votre ouvrage de nombreux exemples de projets efficaces, écologiques et vertueux inspirés des principes de l’économie bleue mais vous semblez vouloir faire l’impasse sur le politique. Des changements aussi radicaux et d’une telle ampleur risquent de prendre énormément de temps s’ils se font uniquement par induction depuis la base. Ce temps long est-il compatible avec l’urgence extrême de la crise écologique ?

J’ai participé aux premières COP sur le climat, les COP1, COP2, COP3… J’étais un fanatique des COP. Mais rien n’a changé. L’accord de Paris à l’issu de la COP21 n’est respecté ni par la France, ni par personne. Après 25 ans de théâtre politique, je ne crois plus à ces concertations globales qui ne donnent rien à part de belles photos. Il reste les entrepreneurs. Ceux qui ont le désir de faire le bien commun, bien sûr, pas ceux qui rêvent de devenir des « licornes » en Californie.

Miser sur les bonnes volontés et espérer qu’elles entraînent les autres, c’est un peu léger face à l’urgence non ?

Ce n’est pas très rapide mais je ne connais pas d’autre option. D’après mes 40 années d’expérience, la seule voie où je constate qu’on peut aller vite, c’est avec les entrepreneurs, à condition qu’ils ne fassent pas d’excès avec leurs modèles d’affaires…

L’ouvrage récent Perdre la Terre, du journaliste Nathaniel Rich, ou bien les révélations régulières sur l’énorme pouvoir de lobbying des grandes entreprises qui freinent la lutte contre le réchauffement climatique, donnent du grain à moudre pour retourner votre argument. Comment s’assurer que le monde économique s’engage bien dans la bonne direction ?

Le nouveau modèle économique doit être centré autour de l’éthique. Comment peut-on accepter que des entreprises reçoivent aujourd’hui des prix environnementaux sous prétexte qu’elles polluent moins qu’avant ? Alors qu’elles polluent toujours ! Si je passe devant le juge pour vol et que je lui promets de voler 5% de moins à l’avenir, je ne suis pas sûr qu’il soit satisfait. C’est aberrant de recevoir des louanges parce qu’on s’est mis à faire 5 % de bio…

« Inspirer est plus important que diriger. Diriger, c’est un mot du passé. »

Les entreprises font un peu de RSE pour l’image, avec les mêmes sociétés de conseil qui leur organisent le licenciement de 10 000 salariés et leur font un peu d’économie circulaire pour compenser. Donc il faut mettre l’éthique au centre. Mais je crois que l’entrepreneur peut devenir une vraie source d’inspiration. Inspirer est plus important que diriger. Diriger, c’est un mot du passé.

Vous êtes membre du Club de Rome, qui avait commandé le fameux rapport de 1972 sur « Les limites de la croissance ». L’économiste Kate Raworth nous rappelait par ailleurs que la croissance infinie n’existe pas dans la nature… Qu’est-ce qu’il advient de cette croissance dans l’économie bleue ?

Je connais bien Kate Raworth, qui est aussi membre du Club de Rome. Nous avons beaucoup de débats en interne. C’est vrai qu’un arbre s’arrêt de croître après une certaine taille, mais l’écosystème, lui, croît beaucoup plus longtemps. Elle n’est certes pas infinie mais sa biomasse peut augmenter jusqu’à mille tonnes par hectare. Aujourd’hui le soja produit avec des OGM et de la chimie produit 5 ou 6 tonnes à l’hectare. Et l’huile de palme monte à peine à 20 tonnes par hectare. Vous détruisez un système qui produit 1000 tonnes pour un autre qui en produit à peine 20 et vous en vantez la productivité ? Ce n’est pas sérieux…

Donc le concept de croissance infinie est certes un problème mais surtout dans le modèle actuel, moins dans un modèle s’inspirant des écosystèmes dont le potentiel de croissance est incroyable. On parle là davantage de croissance en valeur que de croissance en quantité. À Gaviotas, la santé est si bonne que l’hôpital a fermé faute de patients. L’eau gratuite, le plein emploi, la qualité de vie, c’est une forme de croissance en valeur qui est intéressante.

 

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En français

  • Gunter Pauli, Les nouveaux entrepreneurs du développement durable : 50 brillants exemples de l’économie bleuet. 1, Lyon, Caillade, coll. « Idéer : L’Innovation Créative », , 237 p. (ISBN 978-2953-560244).
  • L’Économie Bleue, Caillade, 2012 (ISBN 978-2953-560251)

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes