Cuisine

Réquisitoire contre la cuisine moléculaire

Réquisitoire contre la cuisine moléculaire

Nicolas de Rabaudy — , mis à jour le 30.07.2011 à 21 h 03

Un journaliste allemand a réalisé une enquête choc sur les dessous de la cuisine moléculaire.

Le «meilleur restaurant du monde»: El Bulli, l’établissement du chef virtuose Ferran Adria, considéré comme le pionnier de la cuisine moléculaire, a fermé ses portes ce week-end à Roses, près de Barcelone. Tout un symbole, celui de la déconfiture de cette cuisine moléculaire passée de mode. Nous republions à cette occasion un article de notre chroniqueur gastronomique Nicolas de Rabaudy sur les scandales entourant la cuisine moléculaire.

Un journaliste allemand, Jörg Zipprick, spécialisé en gastronomie depuis 1992, vient de publier une enquête choc sur les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire dont l’argument majeur montre qu’il y a trop d’additifs chimiques dans nos assiettes. (Cuisine moléculaire, Favre Edit., 224 pages, 13 euros).

En juin 2008, Jörg Zipprick, qui vit à Paris, a donné à Stern, le grand magazine allemand, un article retentissant sur la chimie alimentaire utilisée dans la cuisine moléculaire. La quête des informations fut très problématique: les chefs eux-mêmes ont demandé à n’être cités que de façon anonyme et les fournisseurs d’additifs (acide alginique E600, carraghénanes E407, farine de caroube E410, azorubine E122…) lui proposèrent des avantages divers s’il abandonnait ses investigations. La conclusion de Zipprick est simple: la cuisine moléculaire est la vitrine de l’industrie chimico-alimentaire.

Dans sa première version en espagnol, au début 2008, Jörg Zipprick avait rédigé un article au titre provocateur: «Je ne veux plus retourner au restaurant.» Dix ans plus tôt, chez Ferran Adriá à Rozas, le journaliste avait spécifié au maître d’hôtel d’El Bulli: «Je mange de tout sauf du glutamate de monosodium.» C’est un exhausteur de goût utilisé dans les restaurants chinois et qui peut causer des troubles à l’organisme. «Pas dans notre cuisine», explique le maître d’hôtel d’El Bulli.

35 minutes plus tard, on lui annonce que la cuisine de Ferran Adriá emploie des gélatines qui sont composées entre autres de glutamate. Et Zipprick d’ajouter que l’on peut très bien se procurer des gélatines sans exhausteur de goût à peu près partout. Pas de réponse.

Dans un autre article publié en 2009, Zipprick titre: «Diarrhée pour cinq», un hommage à une recette de Ferran Adriá composée d’ingrédients laxatifs. «Mon papier s’attaquait au recours massif à la chimie alimentaire dans la haute cuisine et expliquait comment l’Union européenne et l’industrie chimique subventionnaient ce style culinaire.» À noter que Ferran commercialise des produits de cuisine moléculaire sous la marque Texturas.

Peu de temps avant, le grand cuisinier espagnol Santi Santamaria (El Raco de Can Fabes, trois étoiles) critiquait l’usage des ingrédients chimiques, d’où une levée de boucliers des chefs ibériques qualifiant Santamaria de «traître».

«Pour moi, le moléculaire cimente le divorce entre l’homme et la nature, souligne Rocco Iannone, 33 ans, ancien du Louis XV à Monaco et de Don Alfonso, ex-trois étoiles à Sant’Agata près de Naples, et chef du restaurant Pappa Carbone à Cava de Tirreni. Autrefois, le chef avait pour tâche de sélectionner le meilleur de la nature. Aujourd’hui, pour être à la mode, il faut mélanger des poudres d’additifs.»

Soutenu par son ami suisse Fredy Girardet, opposé à tout ce qui n’est pas naturel dans la cuisine, Joël Robuchon déclarait en septembre 2007 à l’Hôtellerie: «Les additifs, ce n’est pas bon. J’ai tout fait pour les supprimer chez Fleury Michon. Et paradoxalement, on trouve aujourd’hui dans la cuisine moléculaire des additifs qui sont interdits dans l’agroalimentaire.»

À la fin de son ouvrage très documenté, Zipprick liste les différentes substances qui se cachent derrière l’étiquetage en E, soit une centaine d’additifs censés prolonger la conservation des aliments, rendre la viande, le poisson, les légumes plus appétissants et en exalter le goût. La plupart de ces produits sont inoffensifs. Certains comme le caramel de sulfite, le lycopène ou la catharantine peuvent favoriser des démences du type Alzheimer ou la maladie de Parkinson. L’acide borique, un conservateur, peut provoquer un empoisonnement chimique, bref, comme l’écrit Zipprick: «Et la santé dans tout ça?»

Certes, un menu moléculaire ne tuera personne, mais il faut recommander un usage modéré des additifs, c’est ce que fait Nathalie Quagliata, nutritionniste à Cologne. Même précaution pour le chef Bertrand Guénéron, ancien bras droit d’Alain Senderens chez Lucas Carton.

«Du point de vue de la médecine nutritionnelle, la cuisine moléculaire doit être vue d’un œil critique, souligne le docteur Suzanne Kübler à Clèves. Certaines recettes fonctionnent comme de véritables cocktails chimiques.»

Certes, tous ces additifs sont légaux. Tout est dans le dosage. «Mais, ajoute Zipprick, la notion de tromperie envers le consommateur peut faire l’objet d’un débat: les gens qui ne savent pas du tout ce qu’ils vont manger sont-ils victimes d’abus? Les chefs ne sont pas soumis à la déclaration préalable des composants de leurs plats.»

Experte reconnue par les pouvoirs publics, Nathalie Quagliata va plus loin: «Les produits chimiques et les substances médicinales n’ont rien à faire dans notre alimentation. Et encore moins des doses dont on sait qu’elles sont nuisibles et dangereuses pour la santé.»

Certains chefs ont complètement trahi le fameux principe d’Hippocrate: «Que l’alimentation soit ton médicament et que ton médicament soit ton alimentation.» Qu’en pense Ferran Adriá?

Nicolas de Rabaudy